BURKINA FASO : le code électoral fait objet de division entre les membres de la CENI

A  la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), les contradictions sur le code électorales n’est pas encore à sa fin. Et plusieurs divergences font toujours objet de contradiction, et entre-autre figure l’épine d’une gestion solitaire et autocratique, Des prises de positions publiques qui ne reflètent pas celles prises en plénière, Une gestion financière à questionnement, Une gestion des ressources humaines porteuse de germes de conflits,

 

Monsieur le Président de la CENI,

L’organisation régulière des élections libres et transparentes contribue à la consolidation de l’État de droit. Elle nécessite, pour ce faire, un organe de gestion impartial et consensuel des processus électoraux. Les acteurs politiques et civils burkinabè, par leur génie créateur, ont trouvé une formule magique qui fait cas d’école dans la sous-région en matière de gestion électorale. Cette formule est la composition tripartite de l’organe de gestion des élections qu’est la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), avec des missions précises et des attributions connues de ses membres.

Ainsi, le Code électoral, en son article 5, dispose que la CENI est composée de quinze commissaires issus de partis politiques de la Majorité, de l’Opposition ainsi que des Organisations de la Société Civile (OSC), et ce, sur une base paritaire. Cette composition tripartite de la CENI n’est pas fortuite. Il n’est pas utile de revenir sur le contexte historique et politique qui a présidé à la création de la CENI sous son format actuel. Cependant, il faut rappeler que l’intention du législateur était de doter le pays d’un organisme de gestion des élections où prélaverait l’esprit de collégialité et de consensus de ses membres autour de la gestion des processus électoraux à tous les niveaux. Outre la loi qui en constitue la boussole pour l’organisation et le fonctionnement de la CENI, le règlement intérieur est un outil de gestion interne de la CENI qui en est un repère essentiel.

Nonobstant ces outils de gestion exemplaires et la riche expérience de notre organe de gestion des élections, l’équipe actuelle qui conduit la destinée des élections, source de paix sociale, ne semble pas imbue de cette logique. Si les équipes précédentes ont tenté de respecter, autant que faire se peut, l’esprit de collégialité dans la conduite et la gestion des processus électoraux, peut-on en dire autant de la CENI d’aujourd’hui ? Le fonctionnement de l’actuelle CENI interroge plus d’un et pourrait compromettre sérieusement les missions qui lui sont confiées. Qu’en est-il exactement du fonctionnement de l’institution, monsieur le Président de la CENI ?

I- Une gestion solitaire et autocratique       

Depuis maintenant deux ans que l’équipe actuelle de la CENI a pris fonction, les commissaires sont de plus en plus surpris et surtout scandalisés par votre attitude solitaire dans la conduite des affaires de l’institution. Il est important de vous rappeler juste quelques faits, parmi tant d’autres, pour vous convaincre du dysfonctionnement au sein de l’institution ; dysfonctionnement caractérisée par une gestion solitaire et autocratique de votre part.

  1. Deux mois après l’entrée en fonction de l’équipe des commissaires, vous avez proposé que la CENI se définisse de grandes orientations qui devraient être sa boussole tout au long du mandat couvrant la période 2016-2021. Si l’initiative en elle-même était louable, la démarche pour y parvenir a heurté les commissaires. Le premier jet du document y relatif a été rédigé par vous, sans consulter ni recueillir l’avis de l’ensemble des commissaires qui devraient l’appliquer et répondre de ses conséquences. Ce texte n’a été soumis qu’à deux commissaires pour lecture après sa rédaction. L’un de ces commissaires, après avoir fait des amendements sur la forme, vous a rappelé que le document contenait des décisions fortes qui dépassent les pouvoirs du Président et devraient être discutées par toute l’équipe avant d’être validées.

À la grande stupéfaction de tous les commissaires, en décembre 2016, vous leur faites distribuer ledit document, document qu’ils découvrent, déjà édité, broché et reproduit en plusieurs centaines voire un millier d’exemplaires au moins. Les commissaires vous ont fait savoir qu’ils ne se sentaient pas concernés, encore moins engagés, par le contenu du document qui n’a pas été préalablement examiné par une assemblée plénière en vue de son adoption.

La préoccupation soulevée a été royalement ignorée par vous. Votre passage en force sur cette question s’est matérialisé par la présentation de ce document non adopté, intitulé « Notre mandat », à Son Excellence Monsieur le Président du Faso au cours de l’audience accordée à la CENI le 17 janvier 2017. L’esprit républicain des commissaires leur a dicté la domination de leur stupéfaction face à l’autorité !

Cette peine n’en était qu’à ses débuts d’autant plus que vous avez continué la présentation, la distribution et le don de plusieurs exemplaires de votre document à chacune des audiences accordées à la CENI par d’autres institutions et les mandants des commissaires (Assemblée nationale, Chef de file de l’Opposition politique, Organisations religieuses et coutumières, Conseil national des Organisations de la Société Civile, etc.). En définitive, par cette attitude, vous démontrez que votre seule volonté prime sur celle de toute l’équipe.

  1. En avril 2018, le Président du Faso a rencontré les acteurs politiques pour discuter de certaines dispositions du Code électoral qui devraient faire l’objet de modifications. La rencontre a vu la participation d’une partie du bureau de la CENI. Au cours des échanges, vous avez personnalisé le débat en donnant votre point de vue personnelle sur des préoccupations qui y ont été soulevées en ces termes : « Je ne peux pas faire ça ; d’ailleurs, je ne sais pas faire ça ».

Quand on est Président d’une institution comme la CENI, où toute question en lien avec l’organisation des élections doit être auparavant débattue par les quinze commissaires, on prend le soin d’apporter une réponse aux préoccupations d’une des parties prenantes du processus électoral seulement après avoir concerté ceux avec qui on a été chargé de la même mission. Malheureusement, la bonne gouvernance semble n’être qu’une chose que certains furent prompts à exiger des autres sans jamais se soucier de l’appliquer soi-même, même lorsque les textes le prescrivent. Assurément, le pouvoir change l’homme ou plutôt le révèle-t-il ?

  1. C’est, sans doute, vous croyant investi de pouvoir absolu de Président de la CENI que le 26 août dernier, vous avez, à travers les médias, cru bon de traiter de la convocation du corps électoral en vue d’un référendum constitutionnel « prévu pour se tenir le 24 mars 2018 » alors que la semaine d’avant, les commissaires avaient échangé de la question en plénière.

Il était ressorti que la convocation du corps électoral appartenait au Gouvernement et que la CENI devait s’abstenir de tout acte allant dans ce sens, au risque de sortir de son rôle et de créer des confusions d’attributions qui vont préjudicier le processus électoral. C’est avec amertume et consternation que les autres commissaires ont appris cette annonce dans les médias. Naturellement, cette sortie médiatique a été condamnée par les commissaires de la CENI et par l’opinion publique qui a pu ainsi noter jusqu’à quel point le Président de la CENI, que vous êtes, sortait de son rôle.

Du reste, cette posture a été immédiatement désavouée par un communiqué du Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation (MATD). Dans votre logique de détenteur de pouvoir absolu, vous continuez de défendre cette même posture dans les médias. Voulez-vous ou pensez-vous, à travers cette attitude, contraindre le Gouvernement à vous suivre comme on pourrait l’imaginer ? Si vous entrevoyez ainsi vos prérogatives, même à l’égard du Gouvernement, imaginons ce qu’il en est de la CENI et de vos collègues commissaires ?

  1. Lors de l’assemblée plénière, convoquée pour échanger sur le processus électoral, les commissaires ont émis l’idée salvatrice d’une retraite au cours de laquelle ils devraient s’approprier les nouvelles dispositions et analyser les implications de celles-ci sur le mode opératoire de l’enrôlement des électeurs et les activités liées au vote. La proposition a été rejetée par vous au motif que l’institution devait attendre la prise du Décret officiel convoquant le corps électoral.

Mais, à la surprise générale, les commissaires apprennent que vous avez fait confectionner, par les services techniques, une maquette de récépissé à remettre à l’électeur après son enrôlement. Cette maquette, assortie d’un budget additionnel de plus d’un milliard de francs requis, a été présentée par vous au Gouvernement. Ainsi, ni la forme, ni le contenu et encore moins le budget supplémentaire induit par l’exigence de délivrer un récépissé d’enrôlement n’ont été soumis à l’appréciation des commissaires, violant, de ce fait, le règlement intérieur de l’institution et l’article 53 du Code électoral. C’est seulement le 11 septembre, après avoir été probablement avisé du courroux de certains commissaires, que vous avez pensé que, pour contenir ce courroux, il fallait faire machine arrière, sauver ainsi les apparences.

Pour ce faire, la maquette a été transmise aux membres du bureau pour examen à la réunion à venir, après l’avoir déjà présentée officiellement aux Autorités administratives du pays. Par cet agissement, vous venez de démontrer, encore une fois, que le fonctionnement de l’institution devrait s’accommoder des désidératas d’un individu.

  1. Cet espace de pouvoir absolu, vous estimez en avoir en supplément en vous appuyant sur votre interprétation de l’article 50 bis du Code électoral, adopté le 30 juillet 2018, qui conférerait au Président « encore plus de pouvoir » notamment pour ce qui est de la définition du mode opératoire de l’enrôlement des électeurs et du vote. Par conséquent, rien ne vous obligeait, vous, le Président, à « mettre en discussions » ledit mode à définir ; n’en déplaise à quelque commissaire « qui pourrait démissionner et se faire remplacer par sa composante ». Ici, encore, vous ne vous rendez pas compte que vous violez l’article 53 du Code, que vous avez sans doute lu et qui vous conférerait “plus de pouvoir”. Assurément, un besoin de clarification sur les attributions de chaque acteur (Président de la CENI, Plénière des commissaires et Gouvernement) relativement au mode technique opératoire de l’enrôlement s’impose à la lecture croisée des articles 14, 50, 50 bis, 53 et 265 sexies du Code électoral.
  2. Des prises de positions publiques qui ne reflètent pas celles prises en plénière

Le Président de la CENI, que vous êtes, persuadé que vous avez un pouvoir sans limite et sans partage, nous a habitués à vos prises de position publiques qui ne reflètent guère celles discutées en plénière des commissaires, la seule instance habilitée pour délibérer sur la vie de l’institution, notamment traiter des questions électorales.

  1. S’il est fastidieux de répertorier, ici, toutes vos sorties médiatiques qui nous ont valu d’être interpellés par des burkinabè qui veulent comprendre, nous gardons cependant en mémoire que vous êtes très prolixe pour parler de la plate-forme multicanal d’enrôlement des électeurs (par SMS, appel téléphonique, Web, déploiement physique), et pour cause, vous en êtes le seul géniteur. D’ailleurs vous le réclamez et ne manquez pas de le rappeler chaque fois que vous en avez l’occasion, oubliant de préciser que ce mode opératoire d’enrôlement n’a jamais fait l’objet d’adoption par les commissaires qui en attendaient l’expérimentation devant se dérouler en avril 2018, dans une zone-test, celle de l’Est du pays, avant toute prise de décision formelle de la plénière.
  2. Des propositions de modifications des articles du Code électoral, en l’occurrence l’article 52 qui précise les documents d’enrôlement et de vote, la CENI n’a jamais envisagé la CNIB, comme seule pièce d’identité exigée à l’électeur résidant à l’extérieur. C’est, encore avec surprise, que les commissaires ont découvert un Président de la CENI, faisant porter à l’institution la paternité d’un tel projet.

III- Une gestion financière à questionnement

  1. Certaines lacunes de gestion financière méritent d’être comblées pour éviter les recours aux ententes directes systématiques pour des marchés publics allant de plusieurs centaines de millions à des milliards de francs CFA et ce, sans définition de seuils d’approbation ; toutes choses qui font le lit des abus que vous banalisez en tentant de vous abriter allègrement derrière des appellations d’actes de gestion quotidienne. C’est dans ces conditions que l’interrogation est permise sur le départ, en l’espace d’un an, et comme par hasard, de deux cadres de la chaîne financière (le Directeur de l’Administration et des Finances et le Directeur des Marchés publics), tous nommés par vous-même.
  2. Par ailleurs, la littérature avisée sur la bonne gestion financière en matière électorale insiste sur la prudence dans les attributions des marchés pour éviter certaines collusions d’intérêts qui peuvent porter un discrédit sur le processus électoral.
  3. En outre, comment s’assurer de la légalité et engager sa responsabilité dans la commande publique dans une institution dotée d’un organe plénier (plénière des commissaires) quand celui-ci, au regard des pratiques actuelles, n’a aucun mot ni aucun regard sur quelque procédure que ce soit en matière de commande publique ; laquelle commande publique devrait tirer son essence du Code électoral modifié dont les implications opérationnelles, au risque de nous répéter, n’ont pas encore été examinées par la plénière des commissaires.
  4. Dans cette même rubrique, il est important de noter que votre argument tiré de la réduction du coût des opérations électorales (enrôlement des électeurs par une nouvelle “plate-forme dite multicanal” (enrôlement par SMS, appel téléphonique, Web, déploiement physique) ne résiste pas, aujourd’hui à la confrontation des chiffres. En effet, ce mode d’enrôlement pourrait coûter au contribuable non plus les six milliards initialement annoncés mais jusqu’à dix milliards de francs CFA contre moins de huit milliards pour l’enrôlement classique connu des burkinabè, sans que l’on ait d’ailleurs la certitude d’un enrôlement à moindre coût à l’avenir, eu égard à l’évolution des solutions informatiques.
  5. Le souci de la réduction du coût des opérations électorales contraste avec votre volonté farouche de louer, à hauteur de près d’un milliard de francs CFA, les services VSAT pour la proclamation des résultats du référendum, scrutin annoncé par vous, à jour+1 alors que la classe politique n’en fait pas exigence au même titre que pour les autres élections (présidentielles, législatives et municipales) et surtout qu’aucune disposition légale n’y oblige. Quels sont les intérêts en jeu ici ? Nous nous interrogeons toujours.

Cette gestion financière, qui interpelle plus d’un, est devenue le terreau qui alimente à l’interne toutes sortes de propos, aussi troublants les uns que les autres, voire gravissimes du point de vue de l’orthodoxie en matière de gestion financière, propos que nous espérons non fondés.

IV- Une gestion des ressources humaines porteuse de germes de conflits

Dès l’installation de la nouvelle équipe, vous, Président de la CENI, en plantant le décor sur vos supposés prérogatives, n’avez pas manqué de confondre nomination et recrutement en recrutant, sans aucune procédure légale, des agents que vous avez nommés directement à des postes de responsabilité. Rattrapé par les exigences administratives et financières, vous avez tenté de régulariser, sans succès, cette situation par l’intégration de ces agents dans la Fonction publique. Nul doute que tôt ou tard, cette question fera surface !

Au regard de ces observations qui n’épuisent pas la liste des griefs, nous, commissaires signataires du présent mémorandum :

Ø soucieux de la préservation des acquis du peuple burkinabè en matière de gestion des élections ;
Ø préoccupés par l’attente forte du peuple burkinabè quant à la réussite de l’organisation des élections par le crédit, l’impartialité, l’intégrité et l’objectivité de la CENI ;
Ø convaincus que ces objectifs ne peuvent être atteints que moyennant une collégialité entre les commissaires, d’une part, et entre ceux-ci et les services techniques, d’autre part ;
Vous invitons :
Ø à vous ressaisir ;
Ø à suspendre l’exécution des contrats passés en lien avec un mode opératoire d’enrôlement, mode non encore examiné en plénière ;

Ø à convoquer dans les délais les meilleurs une plénière des commissaires consacrée exclusivement à la relecture de l’arrêté N° 2016-012 /CENI/CAB du 02 Septembre 2016 portant Organisation et fonctionnement de la CENI, d’une part, et, à l’élaboration d’un manuel de procédures, d’autre part. Autrement, nous aviserons.

Fait à Ouagadougou le 17 septembre 2018
Ont signé :
M. Adama KÉRÉ, Commissaire, Vice-Président ;
M. Idrissa DARGA, Commissaire, Rapporteur ;
M. Tasséré SAVADOGO, Commissaire ;
M. Boubacar BOUDA, Commissaire ;
M. Samuel Ibrahim GUITANGA, Commissaire.

 

 

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