L’Institut d’Accompagnement des Centre Diplomatiques et Internationales (IACDI), connu grâce à son expertise sur les questions diplomatiques et internationales, invite à un diagnostic approfondit sur les nouvelles relations Ouagadougou-Pékin.
A l’annonce de l’organisation de la Coupe du Monde 2010 confiée à l’Afrique du Sud, les Sud-africains, en particulier, et les Africains, en général, espéraient voir le continent noir émergé juste parce qu’il accueille un événement mondial. L’espoir fut de courte durée car la Coupe du Monde 2010 a, certes, fait vibrer les Sud-Africains et les Africains mais ils sont restés dans leur quotidien de problèmes de gouvernance. Du Nord au Sud, des révolutions ont lieu sans apporter de manière significative les changements souhaités. Le continent est toujours à la traine même s’il faut reconnaître des signes d’optimisme démocratique et économique comme au Ghana, des progrès économiques et sociaux comme au Rwanda.
Tout comme l’annonce de l’organisation de la Coupe du Monde par l’Afrique du Sud, le retour du Burkina Faso dans le giron de la Chine continentale provoque de l’enthousiasme et de l’euphorie au sein des populations, des partis politiques, des milieux d’affaires et des organisations de la société civile. Le consensus est total sur l’opportunité du revirement même si la manière peu amicale du divorce peut gêner les adeptes de la courtoisie diplomatique. Un échange de correspondance entre les partenaires burkinabè et taïwanais et un communiqué de presse auraient suffi pour mettre fin aux relations d’amour de 24 ans.
La joie du ministre des affaires étrangères est manifeste à travers son message du 26 mai 2018 : « Je viens de signer ce samedi avec le Conseiller d’Etat et Ministre des Affaires Étrangères Wang Yi la reprise des relations diplomatiques entre la République populaire de Chine et le Burkina Faso. » Cette relation de raison unanimement saluée mérite quelques réflexions pour une meilleure rentabilisation.
Le mérite de la dernière épouse
Dernier venu des partenaires diplomatiques de la Chine populaire, le Burkina Faso doit montrer la valeur ajoutée qu’il apporte à cette relation au-delà d’avoir contribué à mettre à genoux diplomatiquement Taïwan. La démission du ministre des affaires étrangères taïwanais en est l’illustration. La Chine populaire doit bien savourer la revanche prise sur « sa province » insulaire dont le plus important et fidèle partenaire vient de la rejoindre. La manière fracassante et peu diplomatique du divorce ajoute du goût au symbole de la rupture.
En Afrique de l’Ouest, le Burkina Faso dispose de l’atout géographique pour jouer un rôle de leadership dans la nouvelle relation. Situé au cœur de l’Afrique occidentale, le pays peut être un point de rassemblement pour la mise en œuvre de l’ambition impérialiste de la Chine populaire dans la région. Il importe de savoir tirer profit de cet atout. Cela nécessite un leadership diplomatique de haut niveau. La diplomatie burkinabè doit être mise à contribution pour réussir ce nouveau défi d’influence dans la famille sino-africaine. Ouagadougou peut-elle oser devenir la capitale chinoise de l’Afrique de l’Ouest pour unir des projets structurants au profit d’Abuja, d’Abidjan et de Dakar ? Avec des ressources naturelles limitées comparativement à d’autres Etats comme le Nigéria, la Côte d’Ivoire et la Guinée-Conakry, le Burkina Faso doit jouer sur son avantage géopolitique à travers une diplomatie offensive. Pour ce faire, la Chine doit être associée à la lutte contre le terrorisme engagée avec le parrainage de la France. En effet, le président Emmanuel Macron est solidaire des pays du G5 – Sahel et plaide pour leur cause afin de réussir la mobilisation des ressources pour le financement de la force sahélienne. La proximité de la France avec les partenaires chinois et burkinabè devrait être exploitée.
La responsabilité des acteurs burkinabè demeure entière
Après 24 ans de relations avec une île à peine plus vaste qu’une région du Burkina Faso qui a su transformer son économie et sa politique, certains Burkinabè se demandent comment préserver les acquis des réalisations taïwanaises au Burkina Faso. Ces inquiétudes sont fondées mais elles dénotent d’une insuffisance de capitalisation des acquis des projets de développement de façon générale. Au-delà du cas taïwanais, c’est la problématique de la pérennisation des programmes et projets de développement dans les pays du Sud qui est remise à l’ordre du jour. Il importe d’adopter de nouveaux comportements pour favoriser le véritable progrès grâce aux projets et programmes de coopération. L’espoir des Burkinabè sur la masse des ressources que la Chine déverserait sur sa nouvelle épouse pourrait se révéler exact. Mais la Chine ne fera pas plus que certains partenaires traditionnels du Burkina Faso.
Malgré les insuffisances de la coopération entre le Burkina Faso et les partenaires occidentaux comme la France, les Etats-Unis, l’Union européenne, le pays des hommes intègres devrait amorcer un développement conséquent au regard de la quantité d’argent reçu depuis l’indépendance. Le défi n’est pas la masse d’aides ou de prêts, mais il faut plus de responsabilité dans la gestion de cette offre. Gouvernants et gouvernés, secteurs public, privé et associatif sont responsables de la situation actuelle du Burkina Faso. La carence de dialogue entre gouvernement et partenaires sociaux sur des questions vitales est illustrative d’un déficit de confiance et d’une insuffisance de responsabilité.
Au-delà de la « diplomatie du dollar » qui caractérisait les relations entre la Chine-Taïwan et le Burkina Faso, nous aurions pu tirer avantage de l’expérience de ce pays qui en 1970 était au même niveau de pauvreté que la plupart des Etats africains. Quels ont été les secrets de Taïwan pour réussir malgré l’austérité de son territoire et la menace de son géant voisin ? La discipline, le travail et la vision. Tous ceux qui ont visité Taïwan comme l’auteur de ces lignes, en septembre 2009, garde un souvenir de respect et d’admiration pour ce peuple attaché à la discipline, au travail bien fait soutenu par une vision claire et responsable. Le plus grand héritage des 24 ans de mariage d’amour entre le Burkina Faso et Taïwan aurait été le leg de valeurs. Osons espérer cela.
Une nouvelle division du travail ?
Les Chinois en Afrique sont friands des grands travaux comme la construction des routes, des barrages, des stades, des bâtiments administratifs, commerciaux, industriels et d’habitation. Ils investissent également dans l’exploitation des ressources naturelles. Ils créent les conditions pour le développement. Ces grandes réalisations n’ont d’importance que lorsque ceux qui en bénéficient s’occupent du développement au bas de l’échelle. Quelle est l’importance d’une autoroute si le pays ne développe pas des initiatives pour développer le commerce local, national et régional ? Quel est l’importance des aménagements hydrauliques si les acteurs publics et privés n’utilisent pas la ressource eau pour produire en masse des produits vivriers et de rente comme le maïs, le riz, le sésame, le niébé ?
Il importe de penser à une répartition du travail entre les entreprises chinoises orientées vers les grands travaux et les acteurs économiques nationaux focalisés sur l’exploitation optimale de ces réalisations. A défaut, les Chinois occuperont le vide laissé en investissant dans le développement à la base. Cela n’est possible qu’en anticipant par une bonne formation professionnelle des acteurs de l’économie de demain.
Une nécessité de rupture et d’adaptation
La Chine dont nous chantons les mérites a osé rompre avec la complaisance et la médiocrité. Elle a décidé d’être un acteur respectable de la scène internationale. Le Burkina Faso rêve-t-il d’influencer positivement la sous-région ouest-africaine dans une dynamique d’indépendance monétaire et sécuritaire ? Il faut saluer le génie des initiateurs Traité d’amitié et de Coopération entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso et savoir pérenniser ce mécanisme. Il peut constituer le début d’un réveil bilatéral et régional dans un contexte de compétition. Il faut également saluer l’initiative triangulaire de la zone économique Sikasso – Korogho – Bobo-Dioulasso lancée courant mai 2018 par les autorités maliennes, ivoiriennes et burkinabè. Le véritable développement est porté par des initiatives endogènes à forte complémentarité transnationale.
Le partenariat avec la Chine est porteuse d’espérance mais il peut aussi provoquer des drames car il s’agit d’un mariage de raison et non d’amour. Les sentiments auront une place marginale dans cette relation. Nos acteurs économiques, de l’opérateur au petit commerçant, doivent se préparer à faire face à une véritable concurrence. Pays d’économie de services et de l’informel, le Burkina Faso doit savoir tirer profit de ce partenariat avec la Chine qui n’est pas encore gagné. Les Burkinabè peuvent profiter à égalité de chance des opportunités du marché chinois. Mais les chinois peuvent aussi disposer du marché Burkinabè et vendre les fruits de leur créativité. Il ne suffit pas de voir ce que les Burkinabè importeront de Chine, ils auront d’ailleurs la tâche facilitée par les Chinois. Il faut imaginer et créer des produits pour le marché chinois. Là, le défi est grand, mais pas impossible.
L’économie du savoir peut être une niche si nous rendons attractives notre culture et ses richesses. La filière sésame peut saisir également les opportunités offertes par le marché chinois. Les acteurs du secteur doivent mieux s’organiser car à défaut, les Chinois produiront eux-mêmes du sésame au Burkina Faso pour l’exportation. Ils sont capables d’ajouter de la valeur à notre sésame avant de le proposer au marché chinois et international. Avec les Chinois, il faut davantage de génie créateur. Nous devons oser relever ce défi de la compétitivité.
Zoob-noogo SILMANDE
Analyste, Institut d’Accompagnement des
Carrières Diplomatiques et Internationales (IACDI)