PROCES DU PUTSCH : « Je m’incline respectueusement devant le deuil des familles qui ont été injustement touchées par cette tragédie », Léonce Koné.

Comparu dans le cadre du procès du putsch manqué du 16 septembre 2018, Léonce Koné, vice-président du CDP à l’époque, a comparu et répondu aux différents chefs d’accusations qui pesaient contre lui. Dans la salle des banquets de Ouaga 2000, l’homme politique a nié les faits. Après avoir répondu aux différentes questions du parquet, il lui été donné une chance afin de  donner son dernier mot, dans le cadre des accusations. Nous vous proposons ce mot de fin à travers cet article :

 

« Des victimes des dommages qui ont été causés par les évènements de septembre 2015 sont présentes, ou représentées par leurs ayants-droits à ce procès. Je regrette profondément que des compatriotes burkinabè trouvent la mort, de façon violente, à l’occasion de troubles politiques, soit parce qu’ils étaient sortis pour manifester leur opposition au putsch, soit parce qu’ils ont été atteints par ce qu’on appelle maladroitement des balles perdues. Dans l’un comme dans l’autre cas il s’agit de victimes innocentes. Leur disparition brutale est une tragédie pour leurs familles respectives et aussi pour la Nation tout entière. Je m’incline respectueusement devant le deuil des familles qui ont été injustement touchées par cette tragédie.

Je compatis également à la douleur des personnes qui ont été blessées dans ces circonstances.

Je condamne évidemment toute forme de violence liée à des faits politiques. Ce recours à la violence dans la vie politique est dangereux. Je me souviens que le Président Macky Sall en quittant le Burkina après ses efforts de médiation de 2015, avait dit en s’adressant à l’ensemble des protagonistes burkinabè de la crise : « N’allumez pas un feu que vous ne saurez pas éteindre ». Cet avertissement vaut encore aujourd’hui, parce que les germes de la violence existent encore. Ils sont nourris par les divisions, l’intolérance, l’hystérisassions du débat politique, la manipulation des processus politiques.

En tout cas je souhaite que les personnes qui ont eu à souffrir dans leur chair de ces violences sachent que ni moi, ni mes camarades n’avons jamais nourri le dessein de faire du mal à d’autres burkinabè. Et en ce qui me concerne je peux vous assurer que je ne l’ai jamais fait.

Maintenant je veux être franc, en disant que parmi les parties civiles, il y a aussi des politiciens et des activistes dont je considère qu’ils ont eux-mêmes par leurs actes contribué à la dégradation du climat social dans notre pays. Je veux parler des membres des organes de la transition et de certaines OSC. Je sais que parmi les parties civiles figurent le Lieutenant-Colonel Zida et quelques ministres. Je voudrais dire respectueusement à ce tribunal que je ne me sens nullement concerné par le sort de ces politiques et responsables d’OSC.

J’exclus de ces membres d’OSC ma jeune sœur Safiatou Lopez, qui se trouve elle aussi aux prises actuellement avec la vindicte du pouvoir. Je suis solidaire de son combat.

En ce qui concerne les autres, on nous a expliqué ici que ces ministres de la transition ont subi le martyre, l’un parce que quelqu’un aurait marché sur sa cravate, l’autre parce qu’il a dû passer la seule nuit de sa rétention dans les locaux du palais présidentiel en se passant de dîner. Et puis on nous dit aussi que tous ont été traumatisés par l’irruption soudaine dans la salle du Conseil des ministres de 3 ou 4 soldats armés et à l’allure plus ou moins menaçante.

Et on expose le récit de cette supposée torture physique et morale à des gens comme nous, qui avons subi l’incendie de nos maisons, la profanation de la sépulture de nos défunts, la prison, assortie d’un harcèlement judiciaire qui dure depuis plus de 3 ans. Alors je le dis sans aucune haine, je n’éprouve aucune compassion envers ces personnes. Elles ont simplement fait une incursion fugace dans la face sombre de la vie politique au Burkina. Et comme le Parquet aime à le dire, cette expérience aussi est pédagogique.

Parmi les parties civiles provenant du milieu des OSC, il y en a un dont je sais qu’il s’est glorifié d’avoir incendié l’Assemblée Nationale et qui veut même ériger les vestiges de ce forfait en musée. J’ai compris que le but de cette initiative est d’avertir les futurs parlementaires que dans l’exercice de leur mandat ils sont soumis, non pas à la surveillance du peuple qui les a élus, mais à celle de gens qui se sont auto-investis comme représentants de la volonté populaire, plus légitimes que les électeurs eux-mêmes.

Si j’en parle c’est parce que tout dans cette attitude est scandaleux et témoigne d’un mépris absolu pour les principes élémentaires de la démocratie, en même temps que d’une profonde ignorance. L’Assemblée Nationale est le sanctuaire de la liberté d’opinion, de parole et de vote. Le bâtiment qu’ils ont brûlé n’est un symbole du pouvoir de Blaise Compaoré, à supposer que cela puisse justifier son incendie. Il date de la période coloniale.

C’est dans cet hémicycle que les premiers représentants élus du peuple burkinabè ont fait leurs armes dans le débat démocratique. C’est dans ce lieu qu’ont été prises des décisions qui ont marqué l’histoire politique de notre pays. En plus d’être un acte de vandalisme crapuleux, cet incendie est une profanation de la mémoire collective de notre Nation, un crime contre l’Histoire et la Démocratie. Lorsqu’on incendie un Parlement c’est toujours mauvais signe pour la Démocratie. La montée du nazisme en Allemagne a commencé par l’incendie du Reichstag en 1933. Donc à mes yeux, ce jeune activiste et ceux qui ont perpétré ce saccage avec lui sont une bande de criminels incultes. Pour autant, cela ne justifie pas qu’on brûle les biens, la demeure ou le lieu de travail d’un citoyen, même lorsque les propres actes de celui-ci sont condamnables.

Cette procédure m’a mis en contact avec des jeunes gens membres de l’ex-RSP, qui sont mes co-accusés dans ce procès. J’ai passé 10 mois avec eux à la MACA. La plupart d’entre eux sont plus jeunes que mes enfants. Je les ai connus à la MACA comme des jeunes gens respectueux et serviables. En les écoutant, tandis qu’ils passaient à la barre de ce tribunal, j’ai découvert des hommes compétents, intelligents, fiers de leur métier, qui ont été pris dans la tourmente de ces évènements politiques, un peu par la force des circonstances. Je ne sais pas ce que leur réserve l’avenir, après un procès comme celui-ci. Je souhaite de tout cœur que le destin leur offre une seconde chance pour reconstruire leur vie personnelle et familiale, leur carrière professionnelle, pour eux-mêmes, pour leurs proches et pour la Nation burkinabè, qui a besoin aujourd’hui de tous ses fils, face au péril le plus grave que notre pays ait connu de toute son histoire.

Il y a aussi dans ce box des accusés des civils comme moi qui, par fatalisme, ont cessé de se demander ce qu’ils font ici devant cette juridiction militaire, aux mœurs si peu respectueuses des droits de la défense et des citoyens. Ce que j’espère, c’est que ce procès soit le dernier qui voit comparaître des civils devant une juridiction militaire pour une affaire politique. Ce fait est en lui-même une violation des droits humains, ainsi que l’a affirmé, à plusieurs reprises, la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies.

Au rang de ces civils je voudrais mentionner mes jeunes camarades du CDP. Certains parmi eux ont pu commettre des erreurs pour lesquelles ils ont fait acte de contrition, publiquement devant ce tribunal. Je suis fier de leur courage, de leur intelligence et de la fermeté de leur engagement politique. Voilà des citoyens qui ne viendront pas se lamenter si un jour le cours tumultueux de la vie politique amène à ce que quelqu’un piétine leur cravate ou leur foulard.

J’exprime évidemment mon amitié et ma solidarité au Général Diendéré, que le compagnonnage de la prison m’a appris à mieux connaître. Il en est de même pour le Général Djibril Bassolé, mon camarade et allié politique. Nos chemins continueront à se croiser et le temps n’est plus loin où nous gagnerons les élections, qui nous permettront de débarrasser le pays de la gouvernance calamiteuse qu’il subit actuellement.

J’ai compris que de nombreux burkinabè souhaitaient que ce procès ait lieu, afin de rompre avec le sentiment qu’ils avaient, à tort ou à raison, d’être soumis au règne de l’impunité, chaque fois que des faits répréhensibles touchaient au monde de la politique, ou à des affaires connexes. Peut-être que ce procès permettra de mettre à jour une partie de la vérité sur la crise politique et militaire que le pays a connu en Septembre 2015, sur les circonstances dans lesquelles les vraies victimes de ces évènements ont subi des sévices, parfois d’une extrême gravité. Il laissera dans l’ombre ce qui s’est passé en 2014 et je doute que la vérité soit jamais révélée sur cette autre page sombre de l’Histoire du Burkina.

Ce sont mes opinions et mon action politiques, pourtant licites, qui me valent d’être traduit devant ce tribunal. Alors je vais conclure, en parlant, en tant qu’homme politique de ce qui me semble être la prochaine étape du règlement des crises de 2014 et 2015, à savoir : la réconciliation des burkinabè.

Autant vous le dire tout de suite, je n’attends pas du régime du MPP qu’il réalise la réconciliation. Toutes les déclarations que les dirigeants actuels ont faites à ce sujet montrent que cela ne les intéresse pas. Ils n’en comprennent pas la nécessité. Ils ne semblent obnubilés que par la perpétuation de leur maintien au pouvoir. Pour eux, la réconciliation veut dire qu’ils vont faire condamner quelques-uns de leurs adversaires politiques, sans trop se soucier de savoir s’ils sont vraiment coupables des faits dont on les accuse. L’essentiel est de désigner des boucs émissaires pour plaire à ceux qui veulent assouvir une vengeance politique aveugle. Après, au moment qui conviendra à son bon vouloir, le Président du Faso manifestera sa mansuétude en prononçant des mesures de grâce, sans doute accompagnées de quelques remontrances paternalistes. La question de la réconciliation est plus sérieuse que cela.

Nous avons cependant un motif d’espoir. Dans deux ans il y aura des élections présidentielles et notre pays aura enfin une chance exceptionnelle de réaliser une véritable alternance de sa gouvernance. J’ai de bonnes raisons de penser que l’opposition gagnera ces élections, tant la déception à l’égard de la gestion du régime en place est grande et générale. Quel que soit le candidat de l’opposition qui remportera ces élections (et nous ne manquons pas de personnalités à la hauteur de ce défi), elles ouvriront la voie à un renouveau de la vie démocratique et de la gestion des affaires publiques dans notre pays.

Alors, nous serons en mesure d’amorcer une véritable réconciliation entre les burkinabè, avec l’ambition de solder définitivement tous les vieux contentieux, toutes les haines recuites qui empoisonnent depuis trop longtemps la vie de notre communauté nationale. Ce pardon mutuel s’appliquera également aux gens qui ont brûlé les maisons de leurs concitoyens, ainsi que des édifices publics.

Comme de nombreux burkinabè, j’espère que nous mettrons fin ainsi au cycle des vengeances et des règlements de comptes. Se pardonner mutuellement n’est pas un signe de faiblesse, de volonté d’amnésie sur des évènements douloureux. C’est simplement le meilleur moyen de conjurer les divisions, les tensions, les crispations qui minent la cohésion nationale.

Afin que notre pays puisse enfin ouvrir une nouvelle page de sa construction et se consacrer pleinement aux urgences qui l’assaillent : la sécurité des populations burkinabè, la restauration de la souveraineté nationale et de l’intégrité du territoire, le rétablissement d’une économie dynamique, qui offre de vrais espoirs d’une vie meilleure à notre jeunesse. Pour cela nous aurons besoin que les burkinabè vivent en paix, retrouvent le sens de la fraternité, se sentent à nouveau solidaires et fiers d’affronter ensemble les défis du futur ».

Léonce KONE
19 Septembre 2018

 

 

 

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